ENTRETIEN avec JEAN FERRIER,

Inspecteur Général Honoraire, ancien recteur de l’Académie de Poitiers

’Des élèves, qui devraient normalement réussir si on s’adaptait un peu mieux à leurs possibilités, intègrent très tôt le sentiment personnel d’échec scolaire.’

Jean Ferrier a été Directeur de l’Enseignement SCOlaire (DESCO) au Ministère de l’Education Nationale et auteur du rapport destiné à Ségolène Royal, ’Améliorer les performances de l’école Primaire’

EP:D’après vous, quel est actuellement le problème majeur du système éducatif français ?

Jean Ferrier : Il me semble que le problème majeur du système éducatif français depuis plusieurs années est l’incapacité de l’école primaire (maternelle et élémentaire) à asseoir correctement les compétences de base chez un nombre anormalement élevé d’élèves : entre 20 et 25 % d’une classe d’âge soit entre 150 000 et 200 000 élèves.

EP : Que faudrait-il changer en priorité dans l’organisation de l’institution ?

Jean Ferrier : Il faut revoir complètement l’organisation du temps scolaire : journée, semaine, année. En bref, il faut diminuer le temps de travail quotidien des élèves et augmenter de façon importante le nombre de jours de classe qui est aujourd’hui de 36 semaines x 4=144. Il faut réintégrer deux heures dans le temps d’enseignement hebdomadaire et réorganiser l’aide pédagogique aux élèves en difficultés : arrêter de faire sortir les élèves des classes pour se rendre chez les maîtres spécialisés ; le plus souvent, ce sont les maîtres spécialisés qui doivent venir aider les élèves, sur le travail fait dans la classe. 

EP : 20 ans après, quel regard portez-vous sur la loi d’orientation de 1989 ?

Jean Ferrier : La loi d’orientation de 1989 a apporté deux choses : d’une part elle a défini les compétences à maîtriser au cours de chaque cycle par les élèves, d’autre part elle a fait entrer l’évaluation dans la culture du premier degré, ce qui n’était pas gagné d’avance, et que l’on est en train de dénaturer.

En revanche, malgré les mots et les discours, les cycles sont un échec total : on continue à demander la même chose à tous les élèves en même temps, ce qui est absurde dans les petites classes de l’école primaire. Les écarts d’origine sociale, sexuelle et d’âge y sont considérables et des élèves, qui devraient normalement réussir si on s’adaptait un peu mieux à leurs possibilités intègrent très tôt le sentiment personnel d’échec scolaire. Les cycles supposaient une adaptation des exigences aux capacités des élèves. Visiblement, le corps enseignant de l’école primaire n’est pas prêt à entrer dans cette logique et à assumer le travail qu’il suppose.

EP:Sur quels mots-clés devrait reposer le travail des enseignants ?

Jean Ferrier :

1 préparation/réflexion  ;

2 ambition pour tous leurs élèves, ce qui suppose exigences et rigueur à leur égard ;

3 adaptation aux élèves

4 rigueur absolue dans l’utilisation du temps d’enseignement

EP : Comment peut-on former intelligemment les citoyens de demain ?

Jean Ferrier : Faire travailler toutes leurs facultés, y compris la mémoire ;

Préparer les élèves aux exigences de leurs études ultérieures ;

Faire réfléchir aux valeurs (y compris de leur travail) républicaines à partir des faits de la vie courante ;

Pratiquer dans la classe une forme de vie démocratique, sur un certain nombre de sujets, montrer l’importance du suffrage universel et donc aussi du respect de la loi.